Rapport sur le financement des entreprises de l'Economie Sociale et Solidaire
Dans le cadre d'une commission sur le financement de l'ESS, menée par Frédéric Tiberghien, ESS France a publié en avril 2017 un rapport de référence sur le financement de l'ESS.
Synthèse du rapport
Le financement des entreprises de l’Economie Sociale et Solidaire (ESS) est un sujet largement délaissé, y compris par les institutions publiques à qui l’article 12 de la loi du 31 juillet 2014 a confié une mission spécifique dans ce domaine, l’INSEE, la Banque de France et la Banque publique d’investissement (Bpi). On ne sait pratiquement rien de fiable non plus sur les différents modèles économiques et de financement adoptés par les entreprises du tiers-secteur. Ce constat désarmant conduit à relativiser par avance toutes les conclusions catégoriques ou définitives qui pourraient être tirées quant à l’abondance (« tout va bien ») ou au contraire à la pénurie (« tout va mal ») des financements disponibles ou accessibles à ces entreprises, ces deux appréciations coexistant y compris au sein de la direction générale du Trésor.
ESS France, à qui l’article 17 de la même loi a confié avec le Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire (CSESS) et les Chambres régionales de l’économie sociale et solidaire (CRESS) une mission de suivi de l’accès à ces financements, a entrepris de commencer à combler ces lacunes en dressant un premier panorama des financements accessibles et en rendant public le rapport d’étape de sa commission financement des entreprises de l’ESS, en espérant qu’ils déclencheront une prise de conscience et un sursaut.
1- Il subsiste, même en période d’abondance de crédit et de taux bas, des difficultés d’accès au financement
Non pas générales, mais spécifiques et plus ou moins vivement ressenties selon les secteurs d’activité, les statuts, la taille de l’entreprise, son stade de développement (amorçage, création, développement, changement d’échelle, transmission et retournement) et la nature du besoin (trésorerie, fonds de roulement, investissement, innovation, fonds propres). Le rapport détaille ce qu’on sait aujourd’hui sur tous ces points, qu’il conviendra d’affermir.
2 - Plusieurs améliorations ont été apportées récemment à ce financement
De nombreux dispositifs spécifiques à l’ESS sont apparus depuis le début des années 2010 (Bpi, fonds divers créés parallèlement à la loi de juillet 2014…) et des acteurs nouveaux (investisseurs solidaires, investisseurs à impact, …) ont trouvé leur place aux côtés d’acteurs Le financement des entreprises de l’économie sociale et solidaire 8 plus anciens (la Caisse des dépôts, le Crédit coopératif…) ou généralistes (les banques de l’ESS ou les banques de réseaux, qui financent de longue date le fonds de roulement et l’investissement de nombreuses entreprises de l’ESS). Plusieurs réseaux d’accompagnement à la création et au développement des entreprises de l’ESS contribuent également à leur plus grande stabilité et pérennité. L’élargissement des offres accessibles et de nouveaux outils (titres associatifs, certificats paritaires et mutualistes…) permettent de mieux répondre aux besoins des entreprises. Après cette phase d’addition, il faut maintenant installer durablement ces outils, ces dispositifs, ces acteurs et ces réseaux de distribution et mieux les articuler.
3 - Malgré ces améliorations, il reste des lacunes à combler comme l’illustrent les points suivants
De nombreuses associations soutiennent à juste titre que la tarification publique (comme la Tarification à l’activité) ne permet pas toujours de couvrir les coûts et de dégager des marges de manœuvre financière pour investir. De même, beaucoup de subventions restent décidées tard dans l’année et tardivement versées, occasionnant de sérieuses difficultés de trésorerie. Le manque de visibilité sur les concours publics freine également l’accès au crédit bancaire pour financer le fonds de roulement. Cet accès reste difficile pour les Très petites entreprises (TPE) de l’ESS, qui disposent de peu de fonds propres, offrent peu de garanties sur leurs actifs, n’ont guère d’historique d’exploitation et peu de visibilité sur l’avenir.
Alors qu’il existe des besoins d’investissement significatifs (immobilier, outils de production, équipement et informatique) dans certains secteurs (santé publique, tourisme social, entreprises d’insertion…), il subsiste des difficultés d’accès au crédit bancaire d’investissement pour les entreprises qui ont peu de fonds propres, qui ne justifient pas de leur capacité de remboursement grâce aux excédents dégagés sur l’exploitation et qui n’offrent pas des garanties suffisantes.
Le financement de l’innovation sociale, très risqué, à terme plus long que le financement de l’innovation technologique et de rendement moindre, reste également difficile pour les Petites et moyennes entreprises (PME), en particulier faute de dispositif finançant l’ingénierie de projet.
Pour des raisons tenant notamment à la débudgétisation par l’Etat des crédits nécessaires, les garanties publiques sur les prêts et investissements des banques ont été dégradées par la Bpi alors qu’il s’agit de l’instrument de politique publique le plus efficace.
Plus fondamentalement, le niveau des fonds propres reste insuffisant, principalement à deux étapes de la vie de l’entreprise, le démarrage et le changement d’échelle. Si les fonds d’épargne solidaire et les fonds à impact permettent d’apporter des fonds propres ou des Synthèse 9 quasi fonds propres à des conditions généralement attractives, il reste à développer une culture des fonds propres dans les entreprises de l’ESS et à faciliter leur accumulation.
Enfin, comme dans le secteur concurrentiel, les grandes entreprises ne rencontrent aucune difficulté à se financer, sauf situation financière dégradée.
4 - Nombre des ingrédients nécessaires à la constitution d’un écosystème favorable au financement de l’ESS sont déjà réunis en France :
- Un champ clairement délimité par la loi pour l’ESS et des définitions précises pour ses différentes catégories d’entreprises ;
- Des institutions financières spécialisées nombreuses et efficaces ainsi que des outils et des mécanismes de financement spécifiques (prêts et garanties sur prêts, apports en fonds propres patients, subventions de fonctionnement ou d’équipement, dons…) répondant à une bonne partie des besoins quant à la durée et au montant des concours (de quelques milliers € à quelques M€) ;
- Des relations de travail bien établies entre ces institutions spécialisées et les banques de réseau et les institutions financières à vocation généraliste ;
- Un dialogue de mieux en mieux structuré entre la société civile et les entreprises de l’ESS, les collectivités territoriales, l’Etat et les organisations syndicales (à travers l’épargne salariale) ; • Un système mixte de financement combinant l’épargne individuelle des particuliers, l’épargne collective des salariés, les ressources des institutions financières spécialisées ainsi que des ressources publiques provenant des collectivités territoriales, de l’Etat et de l’Union européenne, cette mixité des sources constituant un atout à préserver ;
- Des avantages fiscaux proportionnés attachés à cette diversité de sources de financement ;
- Un volume de ressources significatif et en croissance, pour autant que l’on dispose de chiffres ;
- D’excellents réseaux territoriaux d’accompagnement à la création et au développement des entreprises de l’ESS, mais leur bonne performance reste sous-utilisée car le financement de cet accompagnement n’est pas complètement assuré ni stabilisé.
5 - Pour que cet écosystème fonctionne mieux, les principaux axes de progrès identifiés sont les suivants :
- Combler les « trous dans la raquette » qui ont été ou seront identifiés ;
- Assurer la montée en puissance sur les territoires d’incubateurs et d’accélérateurs ;
- Mobiliser davantage de moyens de financement auprès d’acteurs qui restent en retrait de l’ESS de gré (compagnies d’assurance ; fonds de retraite) ou de force (fondations) ;
- Continuer à mobiliser en priorité l’épargne individuelle et collective des citoyens et recentrer les interventions publiques sur les failles de marché (investissements à risque élevé et rentabilité modérée) et les instruments à fort effet de levier (garanties …) ;
- Pérenniser les financements publics là où ils existent et garantir davantage de visibilité pour leurs bénéficiaires; • Articuler davantage les interventions des financeurs entre eux ;
- Améliorer le financement de l’accompagnement dans toutes ses composantes (amorçage, changement d’échelle, innovation).
6 - L’équilibre entre épargne et investissement semble avoir été assuré jusqu’ici et devrait le rester
Tous les acteurs soulignent qu’il existe des projets plus nombreux et plus ambitieux que jamais. Ils seront à financer si le financement de l’ingénierie de projet et de l’accompagnement était mieux assuré pour les rendre « investment ready ».
Plus fondamentalement, les besoins sociaux non ou mal satisfaits n’arrêtent pas de croître à la mesure du double échec du secteur privé à assurer le plein emploi et de l’Etat Providence à lutter efficacement et à prévenir l’exclusion sociale et la précarité sous toutes leurs formes.
Le tiers-secteur, pour apporter les réponses adéquates attendues par la population, a simplement besoin d’être mieux financé par le secteur public et par de nouvelles sources de financement. De nombreuses propositions sont formulées dans ce sens.